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La poésie philosophique et religieuse chez les Persans

d'après Le Mantic Uttaïr ou le Langage des oiseaux de Farid-Uddin Attâr

Joseph Héliodore Garcin de Tassy

L'énigme de la nature a été diversement expliquée par la philosophie. Il s'est élevé en différents lieux et en différents siècles de grands génies, auxquels la foule a été docile et qui ont fait adopter par des millions d'adeptes leurs suppositions réduites en systèmes. Toutefois, il manquait à ce grand mystère une explication authentique, qui pût satisfaire à la fois et l'esprit et le cour. Cette explication, que la science humaine avait en vain cherchée, nous la devons à la révélation déposée dans les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. Elle nous a fait connaître les deux points culminants du mystère Dieu et l'homme. C'est sur ce dualisme abstrait que se sont exercés depuis longtemps nombre d'écrivains distingués, juifs, chrétiens et musulmans, et ces derniers peuvent même être simplement classés parmi les hérétiques chrétiens. Mahomet fit reculer le christianisme jusqu'à une espèce de judaïsme ; il admet cependant non-seulement l'Ancien, mais le Nouveau Testament comme base de ses doctrines, et il reconnaît la mission de Moïse et celle de Jésus, le Messie promis. Ainsi, l'islamisme n'est en effet qu'une grande aberration chrétienne. Avec les sociniens , les musulmans rejettent la divinité du Sauveur, et, par conséquent, la rédemption; avec les unitaires, ils nient la Trinité, et enfin , comme les quakers, ils ne sont pas baptisés. Mais ils admettent la tradition de l'Eglise catholique sur le culte des saints et les prières pour les morts.

Les musulmans ont surtout déployé, pour développer le mystère de la nature , une subtilité remarquable. Ils ont entrepris une tâche bien difficile , l'alliance de la philosophie et de la révélation. Placés entre le panthéisme des joguis indiens et le Coran, qui est quelquefois une informe copie de la Bible, les philosophes musulmans nommés sofis ont établi une école panthéiste appropriée aux idées musulmanes une sorte de doctrine ésotérique de l'islamisme, qu'on doit distinguer du panthéisme indien, bien qu'elle n'offre en réalité que les erreurs du védanta et du sankhya. Or, « le panthéisme, comme doctrine morale, conduit aux mêmes conclusions que le matérialisme, négation de la liberté humaine, indifférence des actions, légitimité des jouissances temporelles. Dans ce système tout est Dieu, excepté Dieu lui-même, puisqu'il cesse par là même de l'être. »

Le spiritualisme des sofis, quoiqu'il soit le contraire du matérialisme, lui est en réalité identique. Mais si leur doctrine n'est pas plus raisonnable, elle est du moins plus élevée et plus poétique. Un voyageur anglais (Burton) l'a parfaitement décrite en peu de mots : « The religion of beauty, whose leading principle is that of earthly, the imperfect type of heavenly love. Its high priests are Anacreontic poets; its rites wine, music and dancing, spiritually considered , and its places of worship meadows and gardens where the perfume of the rose and the song of the nightingale , hy charming the heart , are supposed to improve the mind of the listener. »

Le poëte hindoustani Yaquîn dit à ce sujet :« 0 scrupuleux dévot, ne crois pas que pour fréquenter la taverne on soit dépourvu de foi. Là, le vin, c'est la révélation; la coupe, le prophète qui l'annonce; et l'échanson, c'est Dieu . » Selon les sofis afgans , le vin signifie la direction; le sommeil, la méditation sur les perfections divines ; le parfum, l'espoir de la faveur divine; le zéphyr, les explosions de la grâce; les baisers, les transports de la piété. Les idolâtres, les infidèles, les libertins ne sont autres que ceux qui sont en possession de la vraie foi ; leur idole, c'est le créateur, la taverne, c'est le temple de l'amour divin; le tavernier, le guide spirituel; la beauté, c'est la perfection de la Divinité; les boucles et les tresses de cheveux, c'est l'immensité de sa gloire; les lèvres, les mystères inscrutables de son essence; le duvet des joues, le monde des esprits qui environnent son trône; l'éphélide, l'unité divine; la gaieté folle, l'enthousiasme religieux '.

Il y a eu cependant des écrivains sofis qui ont employé leurs efforts à faire concorder un à un avec les dogmes mahométans leurs propres principes, de manière à en établir l'orthodoxie . Tous admettent une double doctrine, l'exotérique ou extérieure (zahf), et l'ésotérique ou intérieure (batn). Il règne au surplus chez les musulmans, dit d'Herbelot dans sa Bibliothèque orientale, au mot Giamaatj, une grande liberté d'opinion. Le plus grand nombre de leurs écrivains religieux appartiennent à la secte philosophique des sofis, ce qui a propagé parmi eux la doctrine du libre examen. Les docteurs les plus orthodoxes de l'islamisme semblent l'approuver, et on cite complaisamment cette sentence du célèbre Ibn Mas'ùd : « L'Eglise ne consiste pas dans la quantité des personnes. Celui qui possède la vérité de son côté est l'Eglise , fùt-il seul "'. » Dans l'Inde, le sofisme d'une part et le védantisme de l'autre ont eu pour résultat de rapprocher les éléments opposés de l'islamisme et de l'hindouisme, ce qui s'est traduit dans la pratique par de nombreuses sectes mixtes, telles par exemple que celles des kabîr-panthîs et des sikhs.

La théosophie ou la doctrine des sofis est ancienne dans l'islamisme, et elle y est très-répandue, surtout chez les partisans d'Ali \ De là la croyance de ces derniers à l'infusion de la divinité dans Ali et leur explication allégorique de tous les préceptes religieux et cérémoniels. \ Toutefois, celui qui porta le premier le titre de sofi, ce fut Abû Hàschim de Kufa, qui vivait dans la dernière moitié du huitième siècle.

Le célèbre sofi Bàyazid Bistami a dit : « La semence de la théosophie a été mise en terre du temps d'Adam ; elle a poussé sous Noé ; elle a fleuri sous Abraham, et du temps de Moïse les raisins ont commencé à se développer. Ils sont parvenus à leur maturité au temps du Christ, et au temps de Mahomet on en a fait du vin pur. Ceux qui parmi ses sectateurs ont aimé ce vin, en ont bu au point de perdre la conscience d'eux-mêmes et de s'écrier : « Louange à moi! Y a-t-il un être plus grand que moi ?" Ou bien : « Je suis la vérité (c'est-à-dire Dieu)! Il n'y a de Dieu que moi ! » .

Il est bon de rappeler que sofi ne vient pas du mot grec sofos « sage » , comme on serait tenté de le croire, mais du mot arabe sûf « laine » , et qu'il signifie « vêtu de laine ». Une robe de laine est en effet le costume ordinaire des derviches ou faquirs, tous contemplatifs et spiritualistes.

On nomme aussi les sofis mutaçauwif, mais ce mot sert plutôt à désigner le tâlib « novice » qui s'efforce de devenir sofi. On donne plus ordinairement au tâlib le nom de salik « marcheur dans la voie spirituelle ». Par suite, ce mot se prend simplement pour «homme». Saint Thomas a employé dans le même sens l'expression de viator, dans la prose Lauda Sion, lorsqu'il a dit :

Ecce panis angclorum Factus cibus viatorum. « Voici le pain des anges qui est devenu la nourriture des hommes. »

On nomme abûditjat « esclavage» le service de Dieu, et abd « esclave», celui qui s'y consacre. Le contemplatif se nomme ârif (pi. 'urafà) « celui qui connaît ' », et l'objet de sa contemplation marifat « la connaissance de Dieu ». Celui qui est parvenu à cette connaissance se nomme pir « vieillard », ou walî (pi. auliyâ) « approché » , mot qui, par suite, peut se rendre par saint. Celui qui enseigne aux autres cette connaissance se nomme quelquefois hhalîfa (khalife). Jazb, c'est «l'attraction» divine si bien développée dans une homélie de saint Augustin 2. L'état extatique qui est le résultat de la contemplation se nomme hâl « situation » , et les pauses qu'on y fait, macâm « station ». « L'union avec Dieu » se nomme jam', ou fauhîd « unification » ; « la séparation » , farc, et « la demeure avec Dieu », sukûnat. On nomme jâhil «ignorant » le mondain, celui qui ne s'occupe pas des choses spirituelles, celui à qui elles sont étrangères.

Les musulmans distinguent « l'amour de Dieu », ischc ullah ', du hubbat « affection » , muhubbat « amitié » , schauc « désir » , ischtiyâc « ardeur », loajd « extase ».

Telles sont les principales expressions employées par les spiritualistes musulmans. Il y en a beaucoup d'autres encore, mais leur explication exigerait des développements que ne comporte pas le cadre de ce travail .

Les principes de la secte philosophique des sofis ont été exposés dans de nombreux traités didactiques, mais ce sont surtout des ouvrages poétiques qui les ont rendus populaires. Les plus célèbres de ces ouvrages sont dus à des poètes de la Perse, et leurs poésies mystiques sont, il me semble, ce qu'offre de plus original la littérature persane, cette belle littérature trop peu connue encore, et si injustement jugée par Zamakhschari dans un vers qu'on regrette de trouver pour épigraphe d'un ouvrage classique :

« Il y a la même différence entre les Arabes et les Persans qu'entre la datte et le noyau. »

Le poème que j'entreprends d'analyser offre , dans un cadre allégorique et sous des expressions métaphoriques, sinon un traité complet, du moins un tableau exact de la véritable doctrine des sofis, et présente sous son jour réel leur philosophie religieuse. Son titre de Langage des oiseaux (Mantic uttaïr) est emprunté au Coran , où on lit : « Salomon succéda à David, et il dit : O hommes! je connais le langage des oiseaux. »

Ce poème, un des monuments les plus curieux de la doctrine dont il s'agit, se compose d'environ quatre mille six cent cinquante vers du genre dit masnawi et du mètre appelé raml. Le poëte qui en est l'auteur se nommait Muhammad ben Ibrahim; il avait le surnom de Nischapuri, c'est-à-dire de la ville de Nischapur, le titre honorifique de Farid uddin (la Perle de la religion ), et le sobriquet d'Attar (Parfumeur). Il naquit en 1119 de Jésus-Christ, et mourut vers 1230, âgé de plus de cent dix ans, massacré par les soldats mogols de Genguiz Khân. Il exerça d'abord la profession de parfumeur, ainsi que l'indique son sobriquet. Un jour que notre poëte était dans sa boutique, il passe un derviche qui s'arrête tout à coup, jette un regard sur les marchandises qui étaient étalées, puis pousse un profond soupir. Attar, étonné, le prie de continuer sa route. « Tu as raison, lui répond l'inconnu, le voyage de l'éternité est facile pour moi. Je ne suis pas embarrassé dans ma marche , car je n'ai au monde que mon froc. Il n'en est malheureusement pas ainsi de toi, qui possèdes tant de précieuses marchandises. Songe donc à te préparer à ce voyage. »

Ce discours, disent les biographes originaux, fit une vive impression sur l'esprit d'Attar; il abandonna son commerce et le monde pour se consacrer exclusivement au service de Dieu. Pendant plusieurs années, il se livra aux exercices de la mortification et à la pratique de la piété. Il fit ensuite le pèlerinage de la Mecque et fréquenta beaucoup de pieux personnages. Ce fut ainsi qu'il recueillit la grande quantité d'anecdotes dont il a enrichi ses ouvrages, et qui fournissent de précieuses données à la biographie musulmane.

Dans sa vieillesse il reçut à Nischapur la visite de Jalâl uddîn Rûmî, auteur du célèbre Masnawi, et il lui donna son Asrârnâma « Livre des secrets ». Ce fut, dit-on, la lecture de ce livre qui inspira à Rûmî le goût du spiritualisme.

Attar n'a écrit en prose qu'une vie des saints musulmans, intitulée Tazkirat idauliya (Mémorial des amis de Dieu). Ses autres ouvrages sont en vers, et forment un total de cent mille vers; mais je n'en parlerai pas ici , et je traiterai seulement du Mantic uttaïr, qu'il écrivit vers 1175 , et qui jouit d'une immense réputation en Orient. Dans le tableau analytique que je vais en donner, je comparerai quelquefois le sacré au profane , non pas que je veuille l'assimiler en rien ni faire un mélange impie, mais parce qu'il est consolant pour le chrétien sincère de voir la vérité se réfléchir sur l'erreur et témoigner des anciennes traditions divines, étouffées par les doctrines humaines. A défaut du soleil de la révélation qui éclaire notre intelligence, nous trouvons ici, au milieu des ténèbres de la nuit musulmane , quelques vers luisants dont la lumière phosphorique nous rappelle l'éclat resplendissant de la vérité.

Près d'un siècle après la publication du Mantic, il paraissait en Syrie un ouvrage arabe qui jouit aussi dans l'Orient musulman d'une grande réputation, et qui a quelques traits de ressemblance avec celui d'Attar. C'est celui de Mucaddéci, auquel j'ai donné le titre français de « les Oiseaux et les Fleurs », et qui est lui-même une imitation d'un livre arabe plus ancien, intitulé Icâz ulwasnân «le Réveil du dormeur», lequel fut composé à peu près dans le même temps que le Mantic par Abu'lfaraj Aljuzi. Sous quelques rapports , l'auteur de ce dernier ouvrage a pu en emprunter l'idée au Tuhfat ikhwân ussafâ « Cadeau des frères de la pureté » , ouvrage célèbre qu'on a attribué à Attar et à Ibn uljalîl, mais auquel Hajî Khalfa donne pour auteur Majriti, de Cordoue, mort en 1004.

Les allégories morales de Mucaddéci parurent en Syrie vers l'époque où le Roman de la Rose fut écrit en France. Ce dernier ouvrage, qui a joui d'une grande popularité dans le moyen âge, a quelque analogie avec les Oiseaux et les Fleurs, et surtout avec le Mantic. En effet, ce roman est généralement considéré, avec raison, comme mystique, et la rose mystérieuse proposée à la conquête de l'homme, c'est Dieu lui-même. L'objection qu'on a tirée des images licencieuses et des expressions libres qu'on y trouve pour rejeter l'idée d'un but religieux ne me paraît pas fondée; car tel était le mauvais goût du siècle. En Orient, on trouve plus que partout ailleurs ce mélange extraordinaire. On y trouve même la mention fréquente de l'amour antiphysique ; elle salit les poésies mystiques de Saadi, de Hafiz et d'autres célèbres écrivains. Attar lui-même a cédé quelquefois à ce déplorable relâchement des mœurs chez les musulmans, dans ses expressions et dans ses tableaux. On y trouve du reste, comme chez tous les poètes sofis, un étrange amalgame de l'amour spirituel et de l'amour charnel. Au surplus, ce singulier mélange n'est pas particulier à l'Orient musulman. L'éminent érudit M. V. Le Clerc a dit à ce sujet : « Les annales de cette poésie qui invoque sous le nom d'une femme la Divinité elle-même, dont cette femme est le symbole on idéal ou visible, s'ouvrent pour l'Europe par un grand nom philosophique, celui de Platon. C'est Platon qui a dit que Dieu est la beauté unique d'où émane tout ce qui est beau dans le monde, le terme suprême où doit aspirer le cœur de l'homme qui s'y élève par degrés, en contemplant d'abord le beau sensible.... L'amour des êtres créés est le symbole et le premier degré de l'amour de Dieu. »

Il existe en hindoustani un roman qui ressemble en quelque chose au Roman de la Rose, et qui porte le même titre; c'est la Rose de Bakawali. On trouve précisément dans cet ouvrage un passage où est exposée poétiquement, en peu de mots, la doctrine des sofis musulmans. Voici ce passage :

« Dieu existait seul au commencement des siècles; il était concentré en lui-même ; le soleil de sa substance était resté caché derrière le voile du mystère ; il se complaisait dans son amour; mais il éprouva le désir de se manifester au dehors; il voulut montrer sa beauté, faire connaître le vin de son amour et mettre en évidence le trésor caché de sa nature. A cet effet, il créa l'univers. Ce fut ainsi que l'unité de Dieu alla se réfléchir dans le miroir du néant .»

« L'homme est la plus parfaite des créatures de Dieu; il est l'image et la ressemblance du Créateur. Il est le roi de la nature, parce que lui seul dans le monde se connaît lui-même, connaît ainsi le Créateur et possède l'intelligence de la révélation. On peut comparer Dieu au soleil qui se réfléchit dans l'eau. Or, le reflet de la lumière n'est que la lumière elle-même. C'est ainsi que des hommes religieux, enivrés de la coupe de la communion divine, se sont écriés : Je suis Dieu. En effet, l'homme participe aux attributs divins, que dis-je? sa substance est celle de Dieu même. La seule différence , c'est qu'il n'est qu'un être casuel , tandis que Dieu seul est l'être nécessaire. »

Je vais résumer actuellement la doctrine des sofis en un petit nombre d'articles qui seront occasionnellement développés plus loin. Voici ce symbole du panthéisme islamique :

  1. Dieu seul existe ; il est dans tout et tout est lui-même .
  2. Tous les êtres visibles et invisibles en sont une émanation ; « divino particula auro », et n'en sont réellement pas distincts. La création est une sorte de jeu ou de passe-temps de la Divinité : « Ludens in orbe terrarum. » Proverbia 8:31 Vulgate.
  3. Le paradis et l'enfer, tous les dogmes enfin des religions positives, ne sont que des allégories dont le sofi seul connaît l'esprit.
  4. Ainsi les religions sont indifférentes . Elles servent cependant de moyen pour arriver à la réalité. Quelques-unes sont plus avantageuses que les autres pour atteindre ce but , entre autres la religion musulmane, dont la doctrine des sofis est la philosophie.
  5. Il n'existe réellement pas de différence entre le bien et le mal, puisque tout se réduit à l'unité, et qu'ainsi Dieu est en réalité l'auteur des actions de l'homme.
  6. C'est Dieu qui détermine la volonté de l'homme, et, ainsi, ce dernier n'est pas libre dans ses actions.
  7. L'âme est préexistante au corps et y est renfermée comme dans une cage ou dans une prison. La mort doit donc être l'objet des vœux du sofi; car c'est alors qu'il rentre dans le sein de la Divinité dont il émane, et qu'il obtient ce que les bouddhistes nomment le nirwâna, c'est-à-dire l'anéantissement en Dieu.
  8. C'est par la métempsycose que les âmes qui n'ont pas rempli leur destination ici-bas sont purifiées et deviennent dignes d'être réunies à Dieu.
  9. La principale occupation du sofi doit être de méditer sur l'unité et de s'avancer progressivement par les divers degrés de la perfection spirituelle, afin de mourir en Dieu, et d'atteindre dès ce monde à l'unification avec Dieu.
  10. Sans la grâce de Dieu , ce que les sofis nomment J'aïz, on ne peut de soi-même parvenir à cette union spirituelle ; mais les sofis admettent la grâce suffisante, car ils disent que Dieu ne refuse pas son secours à celui qui l'attire par ses fervents désirs.

Les funestes doctrines dont je viens de donner le symbole n'ont pas été, on le sait, sans partisans dans l'Europe chrétienne. Nous avons entre autres nos sofis dans les adamites, qui enseignaient que l'âme humaine était une émanation de la Divinité emprisonnée dans les organes corporels ; qu'il fallait donc chercher à l'en affranchir; que tous les actes du corps étaient indifférents en eux-mêmes et ne portaient aucune atteinte, à l'âme.

Sans aller, aussi loin, plusieurs chrétiens célèbres ont émis des opinions tout à fait panthéistes. Ainsi, dans le septième siècle, Maxime le Confesseur, sans s'écarter ouvertement des dogmes de l'Eglise, supposait Dieu en tout et considérait son essence comme la vie de tous les êtres. Ainsi encore, Cabasilas voulait dégager l'âme de tout le poids dont la nature enveloppe nos facultés, pour arrivera la fusion absolue avec l'un ineffable, préparée par la contemplation. Pour tous ces mystiques, l'unification avec le premier principe et l'absorption complète de l'être sont le dernier terme de l'épuration de l'âme. L'Eglise latine a eu aussi son panthéisme spiritualiste comme l'Eglise d'Orient, mais il y a entre les deux Eglises une différence que le savant helléniste M. Hase a signalée dans le Journal des Savants.

Au surplus, il ne faut pas toujours prendre à la lettre les expressions impies des écrivains mystiques de l'Orient musulman. Attar, par exemple, dans l'épilogue du Mantic , dit qu'il n'est ni musulman ni infidèle; et, quelques lignes plus bas, il demande à Dieu de le conserver dans l'islamisme. Le panthéisme des écrivains musulmans est quelquefois plus apparent que réel. On doit les juger par l'ensemble de leurs idées et non par des phrases isolées . Quoi qu'il en soit, malgré leurs théories insensées, les sofis suivent souvent avec fidélité dans la pratique les devoirs extérieurs de la religion : Intus ut libet,foris ut moris est.

La poésie philosophique et religieuse chez les Persans d'après Le Mantic Uttaïr

Avant d'aborder l'analyse détaillée du Mantic uttaïr, et de mettre par là en lumière les doctrines philosophiques des sofis, je dois indiquer en quelques mots le sujet allégorique du poème.

Les oiseaux vivaient en république, niais ils sentirent la nécessité d'avoir un roi. Un pays sans roi, dit un proverbe indien, est comme une nuit privée de la clarté de la Unie et une femme vertueuse sans mûri '. La huppe, que les traditions rabbiniques et musulmanes donnent pour guide à Salomon dans son voyage à Saba, et qui, ayant ainsi connu familièrement le grand roi d'Israël, était plus que tout autre oiseau capable d'apprécier les qualités que doit avoir un bon roi, la huppe, dis-je, propose aux oiseaux pour souverain Sîmorg, oiseau extraordinaire qui réside au Caucase et dont elle loue les admirables mérites.

Les oiseaux agréent Simorg pour roi, mais ils sont effrayés par la longueur et le danger du voyage qu'il faut entreprendre pour aller le trouver. Les principaux d'entre eux exposent tour à tour leurs objections ou leurs excuses, mais la huppe les réfute toutes. Leurs raisons sont celles que donnent les mondains contre les préceptes de l'Evangile. C'est le repas du père de famille que dédaignent les conviés. Quelques oiseaux spiritualistes n'élèvent aucune objection, et se contentent d'adresser à la huppe des demandes sur ce qu'ils ont à faire.

Tous les oiseaux se décident enfin à partir, mais la plupart périssent en route de faim, de soif, de fatigue. Enfin, après bien des peines, et après avoir franchi sept vallées mystérieuses, ils arrivent au nombre de trente seulement auprès de Simorg. Or, ce mot signifie en persan trente oiseaux. Ainsi les oiseaux, qui représentent les hommes, se retrouvent eux-mêmes en Sîmorg, c'est-à-dire en Dieu.

Telle est l'allégorie dont Attar s'est servi pour enseigner l'unité des êtres et l'existence de Dieu seul, représenté par l'oiseau mystérieux du Caucase.

Le Mantic se divise en deux parties, ainsi qu'Attar le dit lui-même dans son épilogue : le Mantic uttaïr proprement dit, c'est-à-dire les Conférences préparatoires des oiseaux, et le Macâmât uttuyûr, c'est-à-dire les Stations des Oiseaux, ou, comme Attar les appelle aussi, les Séances du chemin de la stupéfaction et le Diwan des poésies du iwtige. En effet, dans plusieurs manuscrits, ces deux parties sont distinctes et forment même quelquefois deux poèmes différents. Le Mantic se compose d'une introduction, des deux parties dont je viens de parler, et d'un épilogue. Partout le récit est coupé, de temps en temps, par des anecdotes ou des paraboles propres à faire ressortir les pensées de l'auteur et à mettre en relief ses doctrines.

Actuellement, on pourra, je pense, me suivre facilement, tant dans l'analyse plus complète que je vais donner de l'ouvrage, que dans les nombreux extraits que je traduirai du persan en français aussi littéralement que notre goût le comporte , en m'aidant des traductions hindoustanie et turque qui en ont été faites. « C'est une chose presque incroyable, dit le célèbre Arnauld d'Andilly que l'extrême difficulté qu'il y a à faire des traductions aussi fidèles qu'élégantes et aussi élégantes que fidèles. 11 est incomparablement plus aisé de bien écrire de soi-même, dans la liberté tout entière que l'on a de s'exprimer, que de traduire, dans la contrainte où l'on se trouve pour rendre fidèlement et éloquemment, tout ensemble, les pensées de l'auteur. »

Les musulmans commencent toujours leurs écrits par une invocation à Dieu suivie des louanges de Mahomet et des quatre premiers khalifes ou des imàms, et quelquefois des uns et des autres. Attar n'a pas manqué de se conformer à cet usage, et il n'a pas employé moins de cinq cent quatre-vingt-douze vers à cette introduction. Les vers dont elle se compose sont souvent empreints d'une véritable éloquence, et on y trouve çà et là de belles pensées, mais quelquefois des images bizarres et singulières qui font l'admiration de l'Orient, mais que notre goût réprouve. De cette introduction, je ne traduirai pas les lieux communs qu'on trouve dans la plupart des ouvrages musulmans, mais seulement ce qu'elle présente de neuf ou du moins de peu connu, et tout ce qui tend à faire apprécier l'esprit des doctrines de l'auteur.

« Louange, dit Attar en commençant, au pur Créateur des âmes, qui a gratifié de l'âme et de la foi l'homme fait de poussière, qui a placé sur les eaux son trône, et qui a mis dans les airs des créatures terrestres. »

On voit que l'auteur du Mantic passe tout de suite à la création des oiseaux, qui sont les héros de son livre. La pensée qui précède est biblique, c'est le spiritus Domini ferebatur super aquas de la Genèse .

« Il a donné aux cieux, continue Attar, la domination , et à la terre, la dépendance. Aux cieux, il a imprimé un mouvement perpétuel; à la terre un uniforme repos. II a étendu le firmament au-dessus de la terre comme une tente sans pieux. En six jours, il a créé les sept planètes, et au moyen de deux lettres il a créé les neuf coupoles des cieux. »

Nous trouvons ici deux jeux de mots qu'il faut expliquer : les sept planètes font allusion aux sept jours de la semaine, dont six seulement furent employés à la création. Quant aux deux lettres dont parle Attar, ce sont celles qui forment le mot hun « sois ", formé de deux lettres seulement en arabe, et cité dans un célèbre passage du Coran (n, 111), qui représente le dixit et facta sunt de la Bible.

« Dieu a donné à la fourmi une faille aussi fine qu'un cheveu; il l'a mise en rapport avec Salomon. Il lui a départi un beau vêtement digne des Abbacides, robe de brocart que le paon lui envie, et qu'on n'a pas eu la peine de lisser »

« Dans l'hiver il répand la neige argentée; dans l'automne, l'or des feuilles jaunies... A l'idée de Dieu, l'esprit se déconcerte, l'âme s'affaisse. A cause de Dieu, le ciel tourne, la terre chancelle. Depuis le dos du poisson jusqu'à la lune, chaque atome atteste son existence. La terre inférieure, le ciel élevé, lui rendent l'un et l'autre témoignage. »

Il est souvent fait allusion dans les poésies musulmanes à celte idée de la cosmogonie persane que le monde repose sur le dos d'un poisson. Or poisson se dit mâhi en persan , et lune, mâh. De là les jeux de mots perpétuels sur le poisson et la lune; sur l'empire, par exemple , du Roi des rois, qui s'étend de la lune au poisson. On trouvera plus loin d'autres allusions à cette idée.

« Dieu produit le vent, la terre, le feu, le sang. C'est par ces choses qu'il annonce son secret. Il pétrit de la terre, et après quarante jours il y mit l'àme : lorsque l'àme entra dans le corps, elle le vivifia. Dieu lui donna l'intelligence, pour qu'elle eût le discernement des choses; il lui donna la science pour qu'elle pût les apprécier. Quand l'homme eut ces facultés, il confessa son impuissance, et, submergé dans l'étonnement , il tâcha d'agir.»

« Amis ou ennemis, tous courbent la tête sous le joug de Dieu : c'est sa sagesse qui l'impose, c'est elle qui veille sur tous. »

« Au commencement des siècles, Dieu a employé les montagnes comme des clous pour fixer la terre, et il a lavé avec l'eau de l'Océan la face du globe. Il a placé la terre sur le dos d'un taureau. Or le taureau est sur le poisson, et le poisson est en l'air. Mais sur quoi repose le poisson ? sur rien. Mais rien n'est rien ; et tout cela n'est rien. »

On le voit, dès le début de son poème, Attar nous fait connaître son système ou plutôt celui des sofis. Tout ce qui est visible, c'est le néant; la réalité gît dans le monde iuvisible. C'est là que nous devons chercher Dieu, le seul être réel, l'océan où les gouttes de l'existence vont se perdre. L'auteur revient cent fois sur la même idée dans le courant de son poème; cent fois il proclame l'unité des êtres. C'est qu'en effet les principes des sofis se réduisent proprement à ce dogme unique.

Mais continuons à écouter Attar : « Admire l'ouvre de ce Roi (Dieu), quoiqu'il ne la considère lui-même que comme un pur néant. En effet, bien que son essence seule existe, il n'y a rien en réalité, si ce n'est elle. Le trône de ce Roi est sur l'eau, et le monde est en l'air; mais laisse là l'eau et l'air, car tout est Dieu. Le ciel et la terre ne sont qu'un talisman qui voile la Divinité ; sans elle ils ne sont qu'un vain nom. Sache donc que le monde visible et le monde invisible, c'est Dieu même. Il n'y a que lui , et ce qui est , c'est lui. Mais , hélas ! personne ne peut le voir ; les yeux sont aveugles, bien que le monde soit éclairé par un soleil brillant.»

« Toi, qu'on n'aperçoit pas quoique tu te fasses connaître! tout le monde, c'est toi, et rien autre que toi n'est manifeste. L'âme est cachée dans le corps et tu es caché dans l'âme. obscurité d'obscurité, ô âme de l'âme! tu es plus que tout et avant tout. Tout se voit en toi, et on te voit en toutes choses. »

« Ni l'esprit ni la raison ne comprennent ton essence, et personne ne connaît tes attributs. Les prophètes eux-mêmes viennent s'abîmer dans la poussière de ton chemin. Quoique l'esprit existe par toi, trouvera-t-il cependant jamais la route de ton existence? »

« Toi qui es dans l'intérieur et dans l'extérieur de l'âme ! tu es et tu n'es pas ce que je dis. A ta cour, la raison a le vertige; elle perd le fil qui doit la diriger dans ta voie. J'aperçois clairement l'univers en toi, et cependant je ne te découvre pas dans le monde. Tous les êtres sont marqués de ton empreinte; mais toi-même tu n'as visiblement aucune empreinte; tu t'es réservé le secret de ton existence. Quelque quantité d'yeux qu'ait ouverts le firmament, il n'a pu apercevoir un grain de la poussière du sentier qui conduit à toi. La terre non plus n'a pas vu cette poussière , bien que de douleur elle ait couvert sa tête de poussière. »

Ce dernier jeu de mots, que j'ai cru devoir reproduire, commence une série d'allégories d'aussi mauvais goût. Je les laisse pour continuer à faire connaître ce qui, dans l'invocation, me parait offrir de l'intérêt.

Nous allons voir Attar reconnaître virtuellement la nécessité de la révélation, et c'est ce trait qui caractérise le panthéisme de l'école musulmane. Mais les sofis ramènent tout à leur idée favorite. Ils ne voient dans la révélation que la manifestation de leur croyance, et ils pensent que la Bible et le Coran ont été seulement écrits pour l'homme qui se contente de l'apparence des choses, qui s'occupe de l'extérieur, pour le zâhir parant, comme ils le nomment, et non pour le sofi qui sonde le fond des choses. Ecoutons Attar :

« Tu dois connaître Dieu par lui-même et non par toi. C'est lui qui ouvre le chemin qui conduit à lui, et non la raison humaine. Sa description n'est pas à la portée des rhétoriciens. L'homme qui a de l'énergie et celui qui en est dépourvu sont également incapables de la tracer. La science ou l'ignorance sont ici une même chose; car Dieu ne peut s'expliquer ni se décrire... »

« Les êtres atomiques des deux mondes ne sont que le produit de tes conjectures ; tout ce que tu sais, en dehors de Dieu, n'est que le résultat de tes propres conceptions. Quant à lui, il est parfait; mais comment l'àme humaine parviendra-l-elle où il est? Il est mille fois au-dessus de l'âme; il est bien au-dessus de tout ce que je peux dire... »

« toi qui apprécies la vérité, ne cherche pas d'analogie en ceci, car l'existence de l'Etre sans pareil n'admet pas d'analogie. Sa gloire a jeté dans l'abattement l'esprit et la raison ; ils sont l'un et l'autre dans une indicible stupéfaction. Les prophètes et les envoyés célestes eux-mêmes n'ont pas compris la moindre parcelle du tout, et ils ont touché la terre de leurs fronts en disant : « Nous ne t'avons pas connu comme lu dois l'être. »

« L'Océan agite ses flots pour proclamer l'essence divine; mais tu ne comprends pas, et tu restes dans l'irrésolution Ce qu'on peut dire de Dieu n'est qu'emblématique et allégorique; or, aucune allégorie ni aucune explication ne peuvent en donner une juste idée; personne ne le connaît, et il ne s'est signalé réellement à personne. Anéantis-toi, telle est la perfection, et voilà tout; renonce à toi-même, c'est le gage de ton union avec Dieu, et voilà tout. Perds-toi en lui pour pénétrer ce mystère ; toute autre chose est superflue Marche dans l'unité, et tiens-toi à l'écart de la dualité; n'aie qu'un cour, un visage, une quibla. »

Attar termine sa tirade panthéiste par une allusion mahométane et judaïque; car par la quibla il faut entendre, on le sait, l'endroit vers lequel on se tourne pour prier, c'est-à-dire Jérusalem pour les juifs, et la Mecque pour les musulmans.

Continuons à écouter ce mélange hybride de révélation et de philosophie, de vérité et d'erreur. A présent Attar va agencer à sa manière les traditions bibliques, enrichies par les rabbins et par les musulmans, avec les doctrines panthéistes.

« ignorant fils d'Adam, tâche de participer à la science spirituelle de ton père. Toutes les créatures que Dieu tira du néant à l'existence se prosternèrent pour l'adorer. Lorsque enfin il créa Adam, il le fit sortir de derrière cent voiles, comme un échantillon de sa toute-puissance. Il lui dit: «0 Adam, sois un océan de bonté; toutes les créatures m'adorent, sois adoré à ton tour. » Le seul qui détourna son visage de cette adoration fut transformé d'ange en démon, il fut maudit et ne connut pas les secrets divins. »

Il est dit aussi dans le psaume 96, 7 : « Adorez-le, vous qui êtes ses anges: Sion a entendu et se réjouit » Et saint Paul, par allusion à ce texte, dit de son côté (Héb. i, 6), en parlant de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Lorsqu'il a introduit son premier né dans le monde, il dit : « Que tous les anges de Dieu l'adorent. »

D'après la légende musulmane qui est mentionnée dans le Coran (vu, 171), et qu'Attar rappelle plus explicitement dans un autre endroit, Dieu fit à toutes les âmes des hommes contenues dans Adam cette demande qu'Attar nomme ailleurs l'aimant des amis de Dieu : « Ne suis-je pas votre Seigneur? Oui, lui répondirent-elles; puis elles l'adorèrent. C'est ainsi, disent les musulmans, que l'homme qui se détourne du vrai culte de Dieu, c'est-à-dire de l'islamisme, est coupable, puisqu'il méconnaît l'engagement qu'il prit alors. Les sofis ajoutent que l'homme a confessé par cet acte que Dieu est le maître absolu de la nature, qu'il existe nécessairement, tandis que les créatures sont ou ne sont pas, puisqu'il les produit ou les fait disparaître à son gré.

Une légende qui accompagne celle-ci, c'est celle de la déchéance de Satan : elle est empruntée à une ancienne tradition que les saints Pères nous ont fait connaître. Dieu, disent-ils, tira du néant les anges dès le premier jour de la création. Il confia à Michel le soin du monde invisible et à Satan celui du monde visible. Après la création de l'homme, Dieu voulut que les anges adorassent dans Adam le Messie futur, Dieu et homme tout ensemble, leur rédempteur et celui de tout le genre humain. Tous le firent, excepté Satan et ceux qui le suivirent dans sa révolte. Michel leur livra alors le combat mystérieux dont il est question dans l'Apocalypse, et les mauvais anges furent précipités dans l'abîme éternel. Mahomet a rapporté cette légende dans le Coran (n, 32); mais, selon lui, ce fut simplement l'homme que Dieu voulut faire adorer aux anges. Attar donne dans le Mantic la raison de la désobéissance de Satan. « Ce dernier, dit-il, se doutant bien qu'Adam n'était pas fait seulement de terre, ne se courba pas, afin de voir le secret que Dieu voulait cacher aux anges, » c'est-à-dire apparemment la transmission de son souffle divin.

Cette scène est représentée dans un dessin qui se trouve dans un manuscrit du poème persan intitulé : Majùlis uluschschâc (les Réunions des amants de Dieu). On y voit les anges prosternés autour d'Adam , et Satan en observation dans un angle, mordant ses doigts d'étonnement.

« Pour former Adam , continue Attar, l'âme s'unit au corps comme la partie au tout. Jamais on ne fit un talisman plus merveilleux : cette union de l'âme élevée et du corps abject offre un mélange de vile terre et de pur esprit. Par l'assemblage de ce qui est élevé et de ce qui est bas, l'bomme est le plus étonnant des mystères. Bien des gens connaissent la surface de cet océan ; mais ils en ignorent la profondeur. Or il y a un trésor dans celte profondeur, et le monde visible est le talisman qui en défend l'approche; mais ce talisman se brisera enfin. Tu trouveras le trésor quand le talisman n'existera plus. L'âme se manifestera quand le corps sera mis à l'écart. Mais tu es toi-même un autre talisman , tu es pour ce mystère une autre substance. »

« Bien des bommes se sont noyés dans cet océan sans fond, et il n'a plus été question d'aucun d'eux. Dans cet immense océan, le monde est un atome et l'atome un monde. J'ai joué ma vie, mon esprit, mon cour, ma religion, pour comprendre la perfection d'un atome. »

« Ceux qui, avant nous, ont cherché péniblement à pénétrer ces mystères, n'ont obtenu pour résultat que le découragement et la stupéfaction. »

« Vois d'abord ce qui est arrivé à Adam; vois combien d'années il a passées dans le deuil occupé de ces pensées. Contemple le déluge de Noé et tout ce que ce patriarche souffrit pendant mille ans de la part des impies. Vois Abraham qui était plein d'amour pour Dieu. Il souffre des tortures et il est jeté dans le feu. Vois l'infortuné Ismaël sacrifié dans le sentier de l'amour divin. Tourne-toi vers Jacob, qui devint aveugle à force de pleurer Joseph. Regarde ce dernier, admirable dans sa puissance comme dans l'esclavage, dans le puits comme dans la prison. Regarde le malheureux Job étendu sur le seuil de sa porte, en proie aux vers et aux loups. Vois Jonas qui, égaré dans sa route, alla de la lune [mâh ) où les Vagues l'avaient porté, dans le ventre d'un poisson (mùlii), où il séjourna quelque temps. Admire Moïse dès sa naissance. Un coffre lui servit de berceau, et Pharaon l'éleva. Vois David qui s'occupait à faire des cuirasses, et qui par les soupirs de son cour rendait le fer mou comme de la cire. Vois le roi Salomon de l'empire duquel un djinn s'empara. Vois Zacharie, si ardent dans l'amour de Dieu qu'il ne fit entendre aucune plainte quand on lui scia le cou. Vois Jean-Baptiste dont la tête tranchée fut mise dans un plat; contemple Christ au pied du gibet lorsqu'il s'échappa à plusieurs reprises des mains des Juifs. Vois enfin ce que le chef des prophètes (Mahomet) a souffert d'injures et de tourments de la part des impies. »

Respirons un instant après cette longue citation, qui certes n'est pas dépourvue d'intérêt. Il me paraît inutile de donner des éclaircissements particuliers sur plusieurs indications erronées de l'auteur. Elles tiennent, ainsi que je l'ai déjà fait observer, à des légendes rabbiniques adoptées par les musulmans. Quant à ce que l'auteur dit en dernier lieu de Jésus-Christ, c'est conforme à la doctrine musulmane; car on lit dans le Coran que Jésus-Christ ne fut pas crucifié; mais qu'il s'échappa des mains des Juifs , qui crucifièrent un individu qui lui ressemblait en croyant le crucifier lui-même . En effet, si Mahomet eût considéré Jésus-Christ comme fils de Dieu et sauveur du genre humain , s'il avait cru à la rédemption, il aurait prêché l'Evangile, là bonne nouvelle du salut par la foi aux mérites du Sauveur, et non une doctrine qui faisait reculer, ainsi que je l'ai déjà dit, le christianisme jusqu'au judaïsme, et lui ôtait son véritable caractère si noble et si consolant à la fois. Il lui a donc fallu, en admettant Jésus-Christ comme un prophète éminent, comme le Verbe et l'Esprit de Dieu, nier sa mort sur la croix, afin d'ôter tout motif de croire à son sacrifice expiatoire pour le genre humain. Ici encore, Mahomet n'a pas été inventeur; il a suivi l'opinion des valentiniens, qui croyaient qu'un homme de l'apparence du Sauveur lui avait été substitué dans la Passion, tandis que lui-même avait été enlevé dans le ciel. Les manichéens pensaient aussi que Jésus-Christ n'était mort et ressuscité qu'en apparence. Remarquons encore, en passant, que Mahomet a puisé ses erreurs chez les hérésiarques des premiers siècles et dans les livres apocryphes de l'Ancien et du Nouveau Testament.

Continuons la lecture de l'invocation du Mantic : «Tu n'es pas accessihle à la science, et cependant tu n'es pas manifeste à tout le monde. L'avantage ou le dommage ne t'atteignent pas. Tu n'as retiré aucun avantage par Moïse, et tu n'as éprouvé aucun dommage par Pharaon. Dieu! qui est infini comme toi? qui est, comme toi, sans limites et sans hornes? toi qui es resté caché sous un voile, retire à la fin ce voile, pour que mon âme ne se consume pas à ta recherche. Je suis demeuré dans l'océan du monde, entouré par le firmament Ah! retire ton serviteur de cette mer qui lui est étrangère ; tu m'y as précipité toi-même, retire-m'en. Les hommes le craignent, mais pour moi je me crains moi-même; car le bien vient de toi et le mal de moi. »

Cette dernière pensée est tout à fait chrétienne, mais elle se trouve dans le Coran, car il y a textuellement : « Le bien qui t'arrive vient de Dieu et le mal vient de toi-même '. » On aime à la voir exprimée par un sofi dont la doctrine enseigne l'indifférence du bien et du mal en l'attribuant à Dieu lui-même.

« mon Créateur, depuis que je suis entré dans ta voie j'ai mangé ton pain sur ta table. Lorsque quelqu'un mange le pain d'un autre il en est reconnaissant. N'aurais-je donc pas de gratitude envers toi, qui possèdes des millions d'océans de bonté et dont le pain m'a nourri si copieusement!... En proportion des péchés innombrables que j'ai commis, par une négligence coupable, tu m'as gratifié de tes abondantes miséricordes. Mon Roi, tourne tes regards vers moi qui suis pauvre et indigent. Ne considère pas mes fautes passées. Pardonne-moi les fautes d'ignorance que j'ai faites. »

Cette dernière prière rappelle celle du Psalmiste : " ignorantias meas ne memineris secundum misericordiam tuam memento mei tu propter bonitatem tuam Domine " (Ps 24,7) Mais voici actuellement que pour s'excuser de ses fautes, Attar se jette dans la doctrine des priscillianistes et des quiétistes, c'est-à-dire dans celle de l'indifférence des actions, sous le prétexte qu'elles sont faites par le corps sans la participation de l'âme. Or celte funeste doctrine fait Dieu l'auteur du mal comme du bien. Car le corps, selon les sofis, n'étant, comme l'âme, qu'une émanation de la Divinité, en fait ainsi partie. Donc ce qu'il fait, c'est Dieu lui-même qui le fait. Le poète va le dire d'ailleurs lui-même en propres termes. Ecoutons-le :

«0 mon Créateur, le bien ou le mal que j'ai fait, je l'ai fait avec mon corps. Pardonne mes faiblesses, efface mes fautes. Je suis entraîné par mes penchants et jeté par toi-même dans l'incertitude. Ainsi le bien ou le mal que je fais dérivent de toi. Sans toi je ne suis qu'une petite partie du tout : mais je deviendrai le tout, si tu daignes me regarder. »

Après avoir parlé d'une manière aussi hétérodoxe, Attar paraît en éprouver du regret , et il s'écrie :

« Ah ! donne-moi la lumière islamique, anéantis en moi ma tyrannique concupiscence. Je suis un atome perdu dans l'ombre; je n'ai pas le capital de l'existence. Je suis un mendiant auprès de ta majesté comparable au soleil , et je lui demande un peu de ton éclat Lorsque ma vie me quitte, je n'ai que toi. Ah! sois à mon dernier soupir le compagnon de mon âme !... »

La poésie philosophique et religieuse chez les Persans d'après Le Mantic Uttaïr

La première partie de l'introduction du Mantic, c'est-à-dire l'invocation à Dieu , se termine ici. Elle est suivie d'abord des louanges de Mahomet. Ecoutons un instant ces exagérations bien singulières dans la bouche d'Attar. Il préconise Mahomet et il sape en même temps les fondements de sa religion. On le dirait ici un zélé mahométan, si ses doctrines panthéistes ne perçaient çà et là dans ses vers.

« Mustafa {Vélu, c'est-à-dire Mahomet) est le trésor de la fidélité, le seigneur du monde spirituel et du monde temporel , la pleine lune et le centre de ces deux mondes, le soleil de la loi et l'océan de la certitude, la lumière de l'univers, la miséricorde de Dieu pour les créatures . L'âme des êtres les plus purs est la poussière de son âme , il est le libérateur de l'âme, et la création entière est sa poussière. Il est le seigneur des deux mondes et le roi de l'univers , le soleil de l'esprit et de la foi. Il est monté aux cieux ; il est le roi des créatures, l'ombre de Dieu, le représentant du soleil de l'essence divine Il est le plus grand et le premier des prophètes, celui qui dirige les purs et les saints, le guide de l'islamisme, le conducteur dans les droits sentiers, celui qui décide des choses obscures, l'imam de tous et de chacun en particulier - Ce fut pour lui-même que Dieu créa cette âme immaculée et pour elle qu'il créa le monde Ce ne fut qu'après que cette lumière (Mahomet) eut paru que le trône et le dais célestes, la tablette des décrets divins et le calame se montrèrent. Le monde fut une manifestation de cette lumière, ainsi que l'humanité en Adam. »

On vient de voir Attar reconnaître, malgré son panthéisme, une véritable création, telle que la Bible nous l'enseigne, et non l'émanation ou l'expansion qu'annonce la doctrine des sofis. Nous devons nous habituer à ces contradictions, à cet amalgame de vérité et d'erreur.

Attar continue, dans les lignes suivantes, à parler comme un vrai mahométan. Il mentionne le dogme de l'intercession de Mahomet, dogme par lequel le Coran a voulu compenser celui de la rédemption. Les musulmans se servent à ce sujet des propres expressions des livres saints. Ils disent que Mahomet s'est chargé des péchés de sa nation, qu'il s'est fait victime de propitiation pour elle .

« Le jour de la résurrection, dit Attar, ne sera pas à redouter pour la poignée de terre (la portion des créatures ) dont Mahomet pourra dire à Dieu : « Ceci est mon peuple. » Cette parole sera toute-puissanle. Dieu, en effet, à cause de ce flambeau de la direction, accordera à ce peuple la rédemption des peines de l'enfer... »

« Quelqu'un pourrait-il avoir, même en songe, une idée des prérogatives du Prophète?... Dieu lui a ordonné d'inviter à l'islamisme les grands et les petits ; il l'a comblé de la plénitude de sa grâce... »

« Mahomet est devenu par sa majesté et sa dignité l'objet des deux qiblas ; et l'ombre de son corps (dont jamais on n'aperçut l'ombre) s'est étendue sur les deux horizons. Ce fut de Dieu qu'il reçut un livre excellent, et ce fut par lui qu'il connut toute chose à cause de la considération que le Très-Haut a eue pour Mahomet, il l'a nommé dans le Pentateuque et dans l'Evangile. »

On sait déjà ce qu'il faut entendre par la quibla. L'auteur, en disant que Mahomet est l'objet des deux quiblas de Jérusalem et de la Mecque, veut indiquer la puissance de son intercession auprès de Dieu. Plus loin il parle de son tombeau, qui est devenu une troisième quibla par suite du respect qu'on lui porte. L'allusion qu'Attar fait à l'ombre de Mahomet tient à l'idée des musulmans que le corps de Mahomet était glorieux et ne projetait pas d'ombre.

J'ai donné en tête de mon Eucologe musulman les passages de l'Ancien et du Nouveau Testament que les mahométans appliquent à Mahomet et à sa mission. Le passage du Pentateuque où se trouve la prétendue mention de Mahomet est celui du Deutéronome 18:18, : « Je leur susciterai du milieu de leurs frères un prophète semblable à toi ; je lui mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui ordonnerai. » Dans ce passage, les musulmans entendent par l'expression leurs frères les frères des Israélites, c'est-à-dire les Ismaélites ou les Arabes. Mais il ne s'agit pas ici de ces derniers. L'expression leurs frères (les frères des Israélites) est usitée dans la Bible pour signifier les Israélites eux-mêmes.

Quant au passage de l'Evangile auquel il est fait allusion, c'est celui de l'Evangile de saint Jean, 14:26 : «Le Paraclet, l'Esprit, le Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toute, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. »

( En réalité, les Musulmans en jouant avec les voyelles utilisent les mots parakletos et periklytos indifféremment, partant de l'idée que dans les langues sémites les voyelles n'existent pas. Parakletos signifie "l'intercesseur" en arabe, "Shafi", l'un des surnoms du Prophète et Periklytos signifie "le loué" en arabe "Ahmad", un aure surnon du Prophète. Ainsi à double titres il pourrait s'agir de lui mais l'auteur de ce livre, J. H. Garcin de Tassy, considère que c'est une hérésie, car pour lui, le Paraclet, l'Esprit, le Saint ne peut pas être une homme. Pour moi, J.P. c'est une querelle byzantine.)

Cette interpolation se trouve aussi dans le prétendu Evangile de saint Barnabé

Ecoutons encore quelque chose des louanges exagérées et hyperboliques qu'Attar donne à Mahomet :

« Au milieu de ses deux épaules, aussi brillantes que le soleil, se voyait manifestement le cachet de la prophétie. Il a été le guide des hommes dans le meilleur des pays , et le meilleur des hommes dans la meilleure des tribus. Par lui, la Caaba est devenue la maison de Dieu et un lieu de sûreté pour celui qui y entre. Gabriel a reçu de Mahomet le manteau de l'initiation, et c'est par là qu'il fut célèbre. »

« Lorsque Dieu prend à part son ami (Mahomet) pour un colloque mystérieux , Gabriel n'y est pas admis ; car il se brûlerait les ailes. Quand le Sîmorg de l'essence divine se montre, Moïse devient aussi craintif que la bergeronnette. Ce prophète alla cependant s'asseoir sur le tapis de cette majesté, mais après avoir reçu l'ordre de Dieu d'ôter sa chaussure .... Admirez la faveur de Dieu envers le noble serviteur de sa cour (Mahomet). Il en fit l'homme de sa voie, il le laissa arriver jusqu'à lui avec sa chaussure. Lorsque Moïse , fils d'Amram, fut témoin de la faveur dont jouissait ce serviteur de Dieu, il dit : Seigneur, admets-moi dans sa nation, fais que je participe au banquet de son élévation ! Mais ce fut en vain que Moïse demanda cette faveur; elle ne fut accordée qu'à Jésus... Cependant Christ, qui a acquis une si grande célébrité, ne fut qu'une éphélide du visage de Mahomet : Dieu s'en servit pour faire connaître le nom du prophète »

Remarquons d'abord ici que les musulmans placent Jésus-Christ bien au-dessus de Moïse; mais, dans leur aveuglement, ils prétendent que le Sauveur était musulman, et que le but de sa mission n'était que de prêcher par avance l'islamisme, que Mahomet, annoncé, par lui, ainsi que nous venons de le voir, devait proclamer définitivement, en terminant la série des prophètes envoyés de Dieu aux hommes.

Mais nous n'avons pas encore épuisé le chapitre de l'éloge de Mahomet. Voici quelques-unes des hyperboles qu'on y trouve et que je dois citer pour leur singularité.

« Le soleil est le commensal de ton sourire; le nuage, de tes pleurs ; les deux mondes sont la poussière de tes pieds. Tu te contentais de dormir sur un tapis de derviche, toi que rien ne peut contenir. .. Toute loi a été abrogée par la tienne. Ta loi et tes ordonnances sont pour l'éternité ; ton nom est associé à celui de Dieu... Tu es à la fois avant et après le monde, tu es en même temps antérieur et postérieur. Personne ne parvient à ta poussière , personne n'arrive à ta dignité. Dieu a départi pour l'éternité l'empire des deux mondes à Mahomet, son envoyé. »

Enfin l'auteur adresse de véritables prières à Mahomet, et il lui demande son intercession avant de commencer le récit qui fait le sujet de son livre, si peu conforme cependant à l'orthodoxie musulmane.

« prophète de Dieu, dit Attar, je suis découragé, je suis resté la main pleine de vent et la tête couverte de poussière. J'ai perdu ma vie par mes fautes; mais je me repens; implore de Dieu mon pardon. Quoique je craigne la sentence du Coran, « ne te livre pas à la confiance » , cependant je lis aussi dans ce livre sacré les mots « ne désespère pas » . . . toi quoi es le médiateur de cette malheureuse poignée de terre, allume avec bienveillance la lampe de l'intercession, afin que, pareil au papillon, je vienne agiter, au milieu de ton assemblée, mes ailes devant ton flambeau. »

« essence élevée, ce que je désire, c'est que tu veuilles bien, dans ta bonté, jeter un regard sur moi, et que par ce regard tu anéantisses pour toujours mon existence séparée. Purifie-moi de toutes les pensées qui m'agitent et des vanités, ô essence pure! Ne noircis pas mon visage par le péché, aie égard à ce que je porte ton nom »

Je laisse la suite de cette prière, parce qu'elle est déjà connue par la traduction qu'en a donnée feu l'illustre de Sacy dans son Pend nâmeh (p. 188), et je néglige aussi les louanges des premiers khalifes : Abubekr, Omar, Osman et Ali ; car Attar ne donne sur ces personnages aucun détail qui ne soit déjà connu. Je citerai cependant sur Ali un court passage qui semblerait annoncer qu'Attar était schiite , tandis qu'il était sunnite, ainsi qu'on le verra plus loin. Ici en effet, conformément au langage des admirateurs d'Ali , Attar lui donne le titre d'âme de Dieu, titre qui équivaut à celui d'Esprit de Dieu qui est donné au Sauveur dans le Coran. Ecoutons Attar :

« Comme Ali est le confident particulier des secrets de Dieu, on ne peut éprouver aucun doute sur sa science éminente. D'après une sentence de Mahomet, Ali connaît Dieu comme il doit être connu ; que dis-je, il fait partie de l'essence divine. Si quelqu'un a été ressuscité par le souffle de Jésus, Ali, par une parole, a restauré dans son état premier une main qui avait été coupée »...

Après ces chapitres accessoires à l'invocation, vient un dernier chapitre au sujet des discussions des schiites et des sunnites, c'est-à-dire des orthodoxes et des hétérodoxes musulmans, sur la question de savoir si les premiers khalifes ont été légitimes ou usurpateurs du pouvoir spirituel et temporel, et si Ali était le successeur légitime de Mahomet. Attar se prononce pour la première opinion et se montre zélé sunnite. Les avis qui terminent ce chapitre rappellent ceux que l'admirable auteur de l'Imitation donnait aux religieux de son temps sur les discussions qui avaient lieu entre eux au sujet du plus ou du moins de mérite des fondateurs de leurs ordres respectifs . Laissons parler Attar :

« Tu connais, ô mon fils, Ali et Abubekr, et tu ignores Dieu, ton esprit, ton âme... Ne décide rien, raccourcis ta langue, sois sans fanatisme, et occupe-toi de suivre la voie spirituelle. Mets devant tes yeux ce que les premiers khalifes ont fait; marche paisiblement et suis ton chemin. Place le pied dans la vérité, comme Abubekr ; choisis la justice, comme Omar. Comme Osman, agis avec douceur et modestie; et comme Ali, sois un océan de bonté et de science. Es-tu un homme de sincérité et de science comme Ali? Non, tu es un homme de concupiscence, tu croupis dans l'infidélité. Détruis donc d'abord ton âme infidèle, sois croyant, et lorsque tu auras fait périr cette âme concupiscente, aie confiance... »

« Dieu ! ce fanatisme au sujet des premiers khalifes n'est pas en moi; mais préserve-m'en pour toujours. Purifies-en mon âme; fais qu'il ne souille pas le livre de mes actions ! »

C'est ainsi que se terminent l'invocation du Mantic Uttaïr et les pièces de vers qui s'y rattachent.

Présentation des oiseaux Discours de la huppe
Les objecteurs de conscience Le Schaïkh San'an Acte d'allégeance au Gourou
Excuses des oiseaux : Les sept premiers Les sept suivants Les huit derniers
Les sept vallées: talab 'ischc ma'rifat istignâ tauhîd haïrat facr et fanâ
Attitude des oiseaux 'Isra et Miraj